Text entered by Penelope Papangelis
Proofread by Maurice M. Mizrahi
Note: The version below may be missing Acte I, Scäne 6
Henri III et sa cour
par
Alexandre Dumas (Päre)
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PERSONNAGES
HENRI III, roi de France
CATHERINE DE MEDICIS, reine märe
HENRI DE LORRAINE, DUC DE GUISE
CATHERINE DE CLEVES, DUCHESSE DE GUISE PAUL ESTUERT, COMTE DE SAINT-MEGRIN
NOGARET DE LA VALETTE, BARON D’EPERNON; ANNE D’ARQUES, VICOMTE DE JOYEUSE (favoris du roi)
SAINT-LUC
BUSSY D’AMBOISE, favori du duc d’Anjou BALZAC D’ENTRAGUES, plus souvent appelà ANTRAGUET COME RUGGIERI, astrologue
SAINT-PAUL, aide de camp du duc de Guise ARTHUR, page de madame la duchesse de Guise BRIGARD, boutiquier
BUSSY-LECLERC, procureur; LA CHAPELLE-MARTEAU, maåtre des comptes; CRUCE (ligueurs)
DU HALDE
GEORGES, domestique de Saint-MÃgrin MADAME DE COSSE; MARIE (femmes de madame la duchesse de Guise) Un Page d’Antraguet
ACTE PREMIER
Un grand cabinet de travail chez Cìme Ruggieri; quelques instruments de physique et de chimie; une fenà tre entr’ouverte au fond de l’appartement, avec un tÃlÃscope.
SCENE PREMIERE
RUGGIERI, puis CATHERINE DE MEDICIS
RUGGIERI, appuyà sur son coude, un livre d’astrologie ouvert devant lui; il y mesure des figures avec un compas; une lampe posÃe sur une table, à droite, Ãclaire la scäne.
Oui!…cette conjuration me paraÃ¥t plus puissante et plus sñre. (Regardant un sablier) Neuf heures bientìt…Qu’il me tarde d’à tre à minuit pour en faire l’Ãpreuve? RÃussirai-je enfin? parviendrai-je à Ãvoquer un de ces gÃnies que l’homme, dit-on, peut contraindre à lui obÃir, quoiqu’ils soient plus puissants que lui?…Mais, si la chaÃ¥ne des à tres crÃÃs se brisait à l’homme!…(Catherine de MÃdicis entre par une porte secräte; elle ìte son demi-masque noir, tandis que Ruggieri ouvre une autre volume, paraÃ¥t comparer, et s’Ãcrie:) Le doute partout!…
CATHERINE
Mon päre…(Le touchant) Mon päre!…
RUGGIERI
Qui?…Ah! Votre MajestÃ!…Comment, si tard, Ã neuf heures du soir, vous hasarder dans cette rue de Grenelle, si dÃserte et si dangereuse!
CATHERINE
Je ne viens point du Louvre, mon päre; je viens de l’hìtel de Soissons, qui communique avec votre retraite par ce passage secret.
RUGGIERI
J’Ãtais loin de m’attendre à l’honneur…
CATHERINE
Pardon, Ruggieri, si j’interromps vos doctes travaux; en toute autre circonstance, je vous demanderais la permission d’y prendre part…Mais ce soir…
RUGGIERI
Quelque malheur?
CATHERINE
Non; tous les malheurs sont encore dans l’avenir. Vous-mà me avez tirà l’horoscope de ce mois de juillet, et le rÃsultat de vos calculs a Ãtà qu’aucun malheur rÃel ne menaáait notre personne, ni celle de notre auguste fils, pendant sa durÃe…Nous sommes aujourd’hui au 20, et rien n’a dÃmenti votre prÃdiction. Avec l’aide de Dieu, elle s’accomplira tout entiäre.
RUGGIERI
C’est donc un nouvel horoscope que vous dÃsirez, ma fille? Si vous voulez monter avec moi à la tour, vos connaissances en astronomie sont assez grandes pour que vous puissiez suivre mes opÃrations et les comprendre. Les constellations sont brillantes.
CATHERINE
Non, Ruggieri; c’est sur la terre que mes yeux sont fixÃs maintenant. Autour du soleil de la royautà se meuvent aussi des astres brillants et funestes; ce sont ceux-là qu’avec votre aide, mon päre, je compte parvenir à conjurer.
RUGGIERI
Commandez, ma fille; je suis prà t à vous obÃir.
CATHERINE
Oui,…vous m’à tes tout dÃvouÃ…Mais aussi ma protection, quoique ignorÃe de tous, ne vous est pas inutile…Votre rÃputation vous a fait bien des ennemis, mon päre…
RUGGIERI
Je le sais.
CATHERINE
La Mole, en expirant, a avouà que les figures de cire à la ressemblance du roi, que l’on a trouvÃes sur l’autel, percÃes d’un poignard à la place du coeur, avaient Ãtà fournies par vous; et peut-à tre les mà mes juges qui l’ont condamnà trouveraient-ils, sous les cendres chaudes encore de son bñcher, assez de feu pour allumer celui de Cìme Ruggieri.
RUGGIERI, avec crainte
Je le sais,…je le sais.
CATHERINE
Ne l’oubliez pas…Restez moi fidäle…et, tant que le ciel laissera à Catherine de MÃdicis existence et pouvoir, ne craignez rien. Aidez-la donc à conserver l’un et l’autre.
RUGGIERI
Que puis-je faire pour Votre MajestÃ?
CATHERINE
D’abord, mon päre, avez-vous signà la Ligue, comme je vous avais Ãcrit de le faire?
RUGGIERI
Oui, ma fille; la premiäre rÃunion des ligueurs doit mà me avoir lieu ici; car nul d’entre eux ne soupáonne la haute protection dont m’honore Votre MajestÃ…Vous voyez que je vous ai comprise et que j’ai Ãtà au delà de vos ordres.
CATHERINE
Et vous avez compris aussi que l’Ãcho de leurs paroles devait retentir dans mon cabinet, et non dans celui du roi?
RUGGIERI
Oui, oui…
CATHERINE
Et maintenant, mon päre, Ãcoutez…Votre profonde retraite, vos travaux scientifiques, vous laissent peu de temps pour suivre les intrigues de la cour…Et, d’ailleurs, vos yeux, habituÃs à lire dans un ciel pur, perceraient mal l’atmosphäre Ãpaisse et trompeuse qui l’environne.
RUGGIERI
Pardon, ma fille!…les bruits du monde arrivent parfois jusqu’ici: je sais que le roi de Navarre et le duc d’Anjou ont fui la cour et se sont retirÃs, l’un dans son royaume, l’autre dans son gouvernement.
CATHERINE
Qu’ils y restent; ils m’inquiätent moins en province qu’à Paris… Le caractäre franc du BÃarnais, le caractäre irrÃsolu du duc d’Anjou, ne nous menacent point de grands dangers; c’est plus präs de nous que sont nos ennemis…Vous avez entendu parler du duel sanglant qui a eu lieu, le 27 avril dernier, präs la porte Saint-Antoine, entre six jeunes gens de la cour; parmi les quatre qui ont Ãtà tuÃs, trois Ãtaient les favoris du roi.
RUGGIERI
J’ai su sa douleur; j’ai vu les magnifiques tombeaux qu’il a fait Ãlever à QuÃlus, Schomberg et Maugiron; car il leur portait une grande amitiÃ…Il avait promis, assure-t-on, cent mille livres aux chirurgiens, en cas que QuÃlus vÃ¥nt en convalescence…Mais que pouvait la science de la terre contre les dix-neuf coups d’ÃpÃe qu’il avait reáus?…Antraguet, son meurtrier, a du moins Ãtà puni par l’exil…
CATHERINE
Oui, mon päre…Mais cette douleur s’apaise d’autant plus vite, qu’elle a Ãtà exagÃrÃe. QuÃlus, Schomberg et Maugiron ont Ãtà remplacÃs par d’Epernon, Joyeuse et Saint-MÃgrin. Antraguet reparaÃ¥tra demain à la cour; le duc de Guise l’exige, et Henri n’a rien à refuser à son cousin de Guise. Saint-MÃgrin et lui sont mes ennemis. Ce jeune gentilhomme bordelais m’inquiäte. Plus instruit, moins frivole surtout que Joyeuse et d’Epernon, il a pris sur l’esprit de Henri un ascendant qui m’effraye…Mon päre, il en ferait un roi.
RUGGIERI
Et le duc de Guise?
CATHERINE
En ferait un moine, lui…Je ne veux ni l’un ni l’autre…Il me faut un peu plus qu’un enfant, un peu moins qu’un homme…Aurais-je donc abÃtardi son coeur à force de voluptÃs, Ãteint sa raison par des pratiques superstitieuses, pour qu’un autre que moi s’emparÃt de son esprit et le dirigeÃt à son grÃ?…Non; je lui ai donnà un caractäre factice, pour que ce caractäre m’appartÃ¥nt…Tous les calculs de ma politique, toutes les ressources de mon imagination ont tendu lÃ…Il fallait rester rÃgente de la France, quoique la France eñt un roi; il fallait qu’on pñt dire un jour: ÃHenri III a regnà sous Catherine de MÃdicis…à J’y ai rÃussi jusqu’à prÃsent…Mais ces deux hommes!…
RUGGIERI
Eh bien, RenÃ, votre valet de chambre, ne peut-il prÃparer pour eux des pommes de senteur, pareilles à celles que vous envoyÃtes à Jeanne d’Albret, deux heures avant sa mort?…
CATHERINE
Non…Ils me sont nÃcessaires: ils entretiennent dans l’Ãme du roi cette irrÃsolution qui fait ma force. Je n’ai besoin que de jeter d’autres passions au travers de leurs projets politiques, pour les en distraire un instant; alors je me fais jour entre eux; j’arrive au roi, que j’aurai isolà avec sa faiblesse, et je ressaisis ma puissance…J’ai trouvà un moyen. Le jeune Saint-MÃgrin est amoureux de la duchesse de Guise.
RUGGIERI
Et celle-ci?…
CATHERINE
L’aime aussi, mais sans se l’avouer encore à elle-mà me, peut-à tre…Elle est esclave de sa rÃputation de vertu…Ils en sont à ce point oó il ne faut qu’une occasion, une rencontre, un tà te-Ã-tà te, pour que l’intrigue se noue; elle-mà me craint sa faiblesse, car elle le fuit…Mon päre, ils se verront aujourd’hui; ils se verront seuls.
RUGGIERI
Oó se verront-ils?
CATHERINE
Ici…Hier, au cercle, j’ai entendu Joyeuse et d’Epernon lier, avec Saint-MÃgrin, la partie de venir faire tirer leur horoscope par vous…Dites aux deux premiers ce que bon vous semblera sur leur fortune future, que le roi veut porter à son comble, puisqu’il compte en faire ses beaux-fräres…Mais trouvez le moyen d’Ãloigner ces jeunes fous…Restez seul avec Saint-MÃgrin; arrachez-lui l’aveu de son amour; exaltez sa passion; dites-lui qu’il est aimÃ, que grÃce à votre art, vous pouvez le servir; offrez-lui un tà te-Ã-tà te. (Montrant une alcìve cachÃe dans la boiserie) La duchesse de Guise est dÃjà lÃ, dans ce cabinet si bien cachà dans la boiserie, que vous avez fait faire pour que je puisse voir et entendre au besoin, sans à tre vue. Par Notre-Dame! il nous a dÃjà Ãtà utile, à moi pour mes expÃriences politiques, et à vous pour vos magiques opÃrations.
RUGGIERI
Et comment l’avez-vous dÃterminÃe à venir?…
CATHERINE, ouvrant la porte du passage secret
Pensez-vous que j’aie consultà sa volontÃ?
RUGGIERI
Vous l’avez donc fait entrer par la porte qui donne dans le passage secret?
CATHERINE
Sans doute…
RUGGIERI
Et vous avez songà aux pÃrils auxquels vous exposiez Catherine de Cläves, votre filleule!…L’amour du Saint-MÃgrin, la jalousie du duc de Guise…
CATHERINE
Et c’est justement de cet amour et de cette jalousie que j’ai besoin…M. de Guise irait trop loin, si nous ne l’arrà tions pas. Donnons-lui de l’occupation…D’ailleurs, vous connaissez ma maxime:
Il faut tout tenter et faire,
Pour son ennemi dÃfaire.
RUGGIERI
Ainsi, ma fille, vous avez consenti à lui dÃcouvrir le secret de cette alcìve.
CATHERINE
Elle dort. Je l’ai invitÃe à prendre avec moi une tasse de cette liqueur que l’on tire de fäves arabes que vous avez rapportÃes de vos voyages, et j’y ai mà là quelques gouttes du narcotique que je vous avais demandà pour cet usage.
RUGGIERI
Son sommeil a dñ à tre profond; car la vertu de cette liqueur est souveraine.
CATHERINE
Oui…Et vous pourrez la tirer de ce sommeil à votre volontÃ?
RUGGIERI
A l’instant, si vous le voulez.
CATHERINE
Gardez-vous en bien!
RUGGIERI
Je crois vous avoir dit aussi qu’Ã son rÃveil toutes ses idÃes seraient quelque temps confuses, et que sa mÃmoire ne reviendrait qu’Ã mesure que les objets frapperaient les yeux.
CATHERINE
Oui…tant mieux! elle sera moins à mà me de se rendre compte de votre magie…Quant à Saint-MÃgrin, il est, commes tous ces jeunes gens, superstitieux et crÃdule: il aime, il croira…D’ailleurs, vous ne lui laisserez pas le temps de se reconnaÃ¥tre. Vous devez avoir un moyen d’ouvrir cette alcìve, sans quitter cette chambre?
RUGGIERI
Il ne faut qu’appuyer sur un ressort cachà dans les ornements de ce miroir magique. (Il appuie sur le ressort, et la porte de l’alcìve se läve à moitiÃ)
CATHERINE
Votre adresse fera le reste, mon päre, et je m’en rapporte à vous…Quelle heure comptez-vous?…
RUGGIERI
Je ne puis vous le dire…La prÃsence de Votre Majestà m’a fait oublier de retourner ce sablier, et il faudrait appeler quelqu’un.
CATHERINE
C’est inutile; ils ne doivent pas tarder; voilà l’important…Seulement, mon päre, je ferai venir d’Italie une horloge;…je la ferai venir pour vous…Ou plutìt, Ãcrivez vous-mà me à Florence et demandez-la, quelque prix qu’elle coñte.
RUGGIERI
Votre Majestà comble tous mes dÃsirs…Depuis longtemps, j’en eusse achetà une, si le prix exorbitant qu’il faut y mettre…
CATHERINE
Pourquoi ne pas vous adresser à moi, mon päre?…Par Notre-Dame! il ferait beau voir que je laissasse manquer d’argent un savant tel que vous…Non…Venez demain, soit au Louvre, soit à notre hìtel de Soissons, et un bon de notre royale main, sur le surintendant de nos finances, vous prouvera que nous ne sommes ni oublieuse ni ingrate. Dieu soit avec vous, mon päre! (Elle remet son masque et sort par la porte secräte)
SCENE II
RUGGIERI, LA DUCHESSE DE GUISE, endormie
RUGGIERI
Oui, j’irai te rappeler ta promesse…Ce n’est qu’à prix d’or que je puis me procurer ces manuscrits prÃcieux qui me sont si nÃcessaires…(Ecoutant) On frappe…Ce sont eux. (Il va refermer la porte de l’alcìve)
D’EPERNON, derriäre le thÃÃtre
HolÃ! hÃ!
RUGGIERI
On y va, mes gentilshommes, on y va.
SCENE III
RUGGIERI, D’EPERNON, SAINT-MEGRIN, JOYEUSE
D’EPERNON, à Joyeuse, qui entre appuyà sur une sarbacane et sur le bras de Saint-MÃgrin
Allons, allons, courage, Joyeuse! Voilà enfin notre sorcier…Vive Dieu! mon päre, il faut avoir des jambes de chamois et des yeux de chat-huant pour arriver jusqu’à vous.
RUGGIERI
L’aigle bÃtit son aire à la cime des rochers pour y voir de plus loin.
JOYEUSE, s’Ãtendant dans un fauteuil
Oui; mais on voit clair pour y arriver, au moins.
SAINT-MEGRIN
Allons, allons, messieurs, il est probable que le savant Ruggieri ne comptait pas sur notre visite. Sans cela, nous aurions trouvà l’antichambre mieux ÃclairÃe…
RUGGIERI
Vous vous trompez, comte de Saint-MÃgrin. Je vous attendais…
D’EPERNON
Tu lui avais donc Ãcrit?
SAINT-MEGRIN
Non, sur mon Ãme; je n’en ai parlà à personne…
D’EPERNON, Ã Joyeuse
Et toi?
JOYEUSE
Moi? Tu sais que je n’Ãcris que quand j’y suis forcÃ…Cela me fatigue.
RUGGIERI
Je vous attendais, messieurs, et je m’occupais de vous.
SAINT-MEGRIN
En ce cas, tu sais ce qui nous amäne.
RUGGIERI
Oui.
(D’Epernon et Saint-MÃgrin se rapprochent de lui. Joyeuse se rapproche aussi, mais sans se lever de son fauteuil)
D’EPERNON
Alors toutes tes sorcelleries sont faites d’avances; nous pouvons t’interroger, tu vas nous rÃpondre?
RUGGIERI
Oui…
JOYEUSE
Un instant, tà te-Dieu!…(Tirant à lui Ruggieri) Venez ici, mon päre…On dit que vous à tes en commerce avec Satan…Si cela Ãtait, si cet entretien avec vous pouvait compromettre notre salut,…j’espäre que vous y regarderiez à deux fois, avant de damner trois gentilshommes des premiäres maisons de France?
D’EPERNON
Joyeuse a raison, et nous sommes trop bons chrÃtiens!…
RUGGIERI
Rassurez-vous, messieurs, je suis aussi bon chrÃtien que vous.
D’EPERNON
Puisque tu nous assures que ta sorcellerie n’a rien de commun avec l’enfer, eh bien, voyons, que te faut-il, ma tà te ou ma main?…
RUGGIERI
Ni l’une ni l’autre; ces formalitÃs sont bonnes pour le vulgaire; mais, toi, jeune homme, tu es placà assez au-dessus de lui pour que ce soit dans un astre brillant entre tous les astres que je lise ta destinÃe…Nogaret de la Valette, baron d’Epernon…
D’EPERNON
Comment! tu me connais aussi, moi?…Au fait, il n’y a rien là d’Ãtonnant…Je suis devenu si populaire!
RUGGIERI, reprenant
Nogaret de la Valette, baron d’Epernon, ta faveur passÃe n’est rien aupräs de ce que sera ta faveur future.
D’EPERNON
Vive Dieu! mon päre, et comment irai-je plus loin?…Le roi m’appelle son fils.
RUGGIERI
Ce titre, son amitià seule te le donne, et l’amitià des rois est inconstante…Il t’appellera son fräre, et les liens du sang le lui commanderont.
D’EPERNON
Comment! tu connais le projet du mariage…?
RUGGIERI
Elle est belle, la princesse Christine! Heureux sera celui qui la possÃdera!
D’EPERNON
Mais qui a pu t’apprendre?…
RUGGIERI
Ne t’ai-je pas dit, jeune homme, que ton astre Ãtait brillant entre tous les astres?…Et maintenant à vous, Anne d’Arques, vicomte de Joyeuse; à vous que le roi appelle aussi son enfant.
JOYEUSE
Eh bien; mon päre, puisque vous lisez si bien dans le ciel, vous devez y voir tout le dÃsir que j’ai de rester dans cet excellent fauteuil, si toutefois cela ne nuit pas à mon horoscope…Non? Eh bien, allez, je vous Ãcoute.
RUGGIERI
Jeune homme, as-tu songà quelquefois, dans tes rà ves d’ambition, que la vicomte de Joyeuse pñt à tre ÃrigÃe en duchÃ;…que le titre de pair qu’on y joindrait te donnerait le pas sur tous les pairs de France, exceptà les princes du sang royal, et ceux des maisons souveraines de Savoie, Lorraine et Cläves?…Oui…Eh bien, tu n’as fait que pressentir la moitià de ta fortune…Salut à l’Ãpoux de Marguerite de Vaudemont, soeur de la reine!…Salut au grand amiral du royaume de France!…
JOYEUSE, se levant vivement
Avec l’aide de Dieu et de mon ÃpÃe, mon päre, nous y arriverons. (Lui donnant sa bourse) Tenez, c’est bien mal rÃcompenser la prÃdiction de si hautes destinÃes; mais c’est tout ce que j’ai sur moi.
D’EPERNON
De par Dieu! tu m’y fais penser, et moi qui oubliais…(Il fouille à son escarcelle) Eh bien, des dragÃes à sarbacane, voilà tout…Je ne pensais plus que j’avais perdu à la prime jusqu’à mon dernier philippus…Je ne sais ce que devient ce maudit argent; il faut qu’il soit trÃpassÃ…Vive Dieu! Saint-MÃgrin, toi qui es ami de Ronsard, tu devrais bien le charger de faire son Ãpitaphe…
SAINT-MEGRIN
Il est enterrà dans les poches de ces coquins de ligueurs…Je crois qu’il n’y a plus guäre que là qu’on puisse trouver les Ãcus à la rose et les doublons d’Espagne…Cependant il m’en reste encore quelques-uns, et si tu veux…
D’EPERNON, riant
Non, non, garde-les pour acheter de l’ellÃbore; car il faut que vous sachiez, mon päre, que, depuis quelque temps, notre camarade Saint-MÃgrin est fou…Seulement, sa folie n’est pas gaie…Cependant, il vient de me donner une bonne idÃe…Il faut que je vous fasse payer mon horoscope par un ligueur…Voyons, sur lequel vais-je vous donne un bon?…Aide-moi, duc de Joyeuse. Ce titre sonne bien, n’est-ce pas? Voyons, cherche…
JOYEUSE
Que dis-tu de notre maÃ¥tre des comptes, La Chapelle-Marteau?…
D’EPERNON
Insolvable…En huit jours, il Ãpuiserait les trÃsors de Philippe II.
SAINT-MEGRIN
Et le petit Brigard?…
D’EPERNON
Bah!…un prÃvot de boutiquiers! il offrirait de s’acquitter en cannelle et en herbe à la reine.
RUGGIERI
Thomas CrucÃ?…
D’EPERNON
Si je vous prenais au mot, mon päre, vos Ãpaules pourraient garder pendant quelque temps rancune à votre langue…Il n’est pas endurant.
JOYEUSE
Eh bien, Bussy Leclerc?
D’EPERNON
Vive Dieu….un procureur…Tu es de bon conseil, Joyeuse…(A Ruggieri) Tiens, voilà un bon de dix Ãcus noble rose. Fais bien attention que la noble rose n’est pas dÃmonÃtisÃe comme l’Ãcu sol et le ducat polonais, et qu’elle vaut douze livres. Va chez ce coquin de ligueur de la part de d’Epernon et fais-toi payer; s’il refuse, dis-lui que j’irai moi-mà me avec vingt-cinq gentilshommes et dix ou douze pages…
SAINT-MEGRIN
Allons, maintenant que ton compte est rÃglÃ, je te rappellerai qu’on doit nous attendre au Louvre…Il faut rentrer, messieurs; partons!
JOYEUSE
Tu as raison; nous ne trouverions plus de chaises à porteurs.
RUGGIERI, arrà tant Saint-MÃgrin
Comment! jeune homme, tu t’Ãloignes sans me consulter!…
SAINT-MEGRIN
Je ne suis pas ambitieux, mon päre; que pourriez-vous me promettre?
RUGGIERI
Tu n’es pas ambitieux!…Ce n’est pas en amour du moins.
SAINT-MEGRIN
Que dites-vous, mon päre! Parlez bas!
RUGGIERI
Tu n’es pas ambitieux, jeune homme, et, pour devenir la dame de tes pensÃes, il a fallu qu’une femme rÃunit dans son blason les armes de deux maisons souveraines, surmontÃes d’une couronne ducale…
SAINT-MEGRIN
Plus bas, mon päre, plus bas!
RUGGIERI
Eh bien, doutes-tu encore de la science?
SAINT-MEGRIN
Non…
RUGGIERI
Veux-tu partir encore sans me consulter?
SAINT-MEGRIN
Je le devrais, peut-Ã tre…
RUGGIERI
J’ai cependant bien des rÃvÃlations à te faire.
SAINT-MEGRIN
Qu’elles viennent du ciel ou de l’enfer, je les entendrai…Joyeuse, d’Epernon, laissez-moi: je vous rejoindrai bientìt dans l’antichambre…
JOYEUSE
Un instant, un instant!…ma sarbacane…De par sainte Anne! si j’aperáois une maison de ligueur à cinquante pas à la ronde, je ne veux pas lui laisser un seul carreau.
D’EPERNON, Ã Saint-MÃgrin
Allons, dÃpà che-toi!…et nous te ferons bonne garde pendant ce temps. (Ils sortent.)
SCENE IV
RUGGIERI, SAINT-MEGRIN, puis LA DUCHESSE DE GUISE
SAINT-MEGRIN, poussant la porte
Bien, bien…(Revenamt) Mon päre… un seul mot… M’aime-t-elle?… Vous vous taisez, mon päre… MalÃdiction!… Oh! faites…faites qu’elle m’aime! On dit que votre art a des ressources inconnues et certaines, des breuvages, des philtres! Quels que soient vos moyens, je les accepte, dussent-ils compromettre ma vie en ce monde et mon salut dans l’autre…Je suis riche. Tout ce que j’ai est à vous. De l’or, des bijoux; ah! votre science peut-à tre mÃprise ces trÃsors du monde! Eh bien, à coutez-moi, mon päre! On dit que les magiciens quelquefois ont besoin, pour leurs expÃriences cabalistiques, du sang d’un homme vivant encore. (Lui prÃsentant son bras nu) Tenez, mon päre…Engagez-vous seulement à me faire aimer d’elle…
RUGGIERI
Mais es-tu sñr qu’elle ne t’aime pas?
SAINT-MEGRIN
Que vous dirai-je, mon päre? jusqu’à l’heure du dÃsespoir, ne reste-t-il pas au fond du coeur une espÃrance sourde?…Oui, quelquefois j’ai cru lire dans ses yeux, lorsqu’ils ne se dÃtournaient pas assez vite…Mais je puis me tromper…Elle me fuit, et jamais je ne suis parvenu à me trouver seul avec elle.
RUGGIERI
Et si tu y rÃussissais enfin?
SAINT-MEGRIN
Cela Ãtant, mon päre!…son premier mot m’apprendrait ce que j’ai à craindre ou à espÃrer.
RUGGIERI
Et bien, viens et regarde dans cette glace…On l’appelle le miroir de rÃflexion…Quelle est la personne que tu dÃsires y voir?
SAINT-MEGRIN
Elle, mon päre!…
(Pendant qu’il regarde, l’alcìve s’ouvre derriäre lui et laisse apercevoir la duchesse de Guise endormie)
RUGGIERI
Regarde!
SAINT-MEGRIN
Dieu!…vrai Dieu!…c’est elle!…elle, endormie! Ah! Catherine! (L’alcìve se referme) Catherine! Rien…(regardant derriäre) Rien non plus par ici…Tout a disparu: c’est un rà ve, une illusion…Mon päre, que je la voie…que je la revoie encore!…
RUGGIERI
Elle dormait, dis-tu?
SAINT-MEGRIN
Oui…
RUGGIERI
Ecoute: c’est surtout pendant le sommeil que notre pouvoir est plus grand…Je puis profiter du sien pour la transporter ici.
SAINT-MEGRIN
Ici, präs de moi?
RUGGIERI
Mais, däs qu’elle est rÃveillÃe, rappelle-toi que tout ma puissance ne peut rien contre sa volontÃ…
SAINT-MEGRIN
Bien, mais hÃtez-vous, mon päre!…hÃtez-vous!…
RUGGIERI
Prends ce flacon; il suffira de le lui faire respirer pour qu’elle revienne à elle…
SAINT-MEGRIN
Oui, oui; mais hÃtez-vous…
RUGGIERI
T’engages-tu par serment à ne jamais rÃvÃler?…
SAINT-MEGRIN
Sur la part que j’espäre dans le paradis, je vous le jure…
RUGGIERI
Eh bien, lis…(Tandis que Saint-Megrin parcourt quelques lignes du livre ouvert par Ruggieri, l’alcìve s’ouvre derriäre lui; un ressort fait avancer le sofa dans la chambre, et la boiserie se referme) Regarde! (Il sort)
SCENE V
SAINT-MEGRIN, LA DUCHESSE DE GUISE
SAINT-MEGRIN
Elle!…c’est elle!…la voilÃ…(Il s’Ãlance vers elle, puis s’arrà te tout à coup) Dieu! j’ai lu que parfois des magiciens enlevaient au tombeau des corps qui, par la force de leurs enchantements, prenaient la ressemblance d’une personne vivante. Si…Que Dieu me protäge! Ah!…rien ne change…Ce n’est donc pas un prestige, un rà ve du ciel…Oh! son coeur bat à peine!…sa main…elle est glacÃe!…Catherine! rÃveille-toi: ce sommeil m’Ãpouvante! Catherine!…Elle dort…Que faire?…Ah! ce flacon,…..j’oubliais…Ma tà te est perdue!…(Il lui fait respirer le flacon)
LA DUCHESSE DE GUISE
Ah!…
SAINT-MEGRIN
Oui, oui,…respire!…läve-toi!…parle, parle!…j’aime mieux entendre ta voix, dñt-elle me bannir à jamais de ta prÃsence, que de te voir dormir de ce sommeil froid.
LA DUCHESSE DE GUISE
Ah! que je suis faible!…(Elle se läve en s’appuyant sur la tà te de Saint-MÃgrin, qui est à ses pieds) J’ai dormi longtemps…Mes femmes…comment s’appellent-elles?…(Apercevant Saint-MÃgrin) Ah! c’est vous, comte? (Elle lui tend la main)
SAINT-MEGRIN
Oui…oui…
LA DUCHESSE DE GUISE
Vous!…mais pourquoi vous? Ce n’Ãtait pas vous que j’Ãtais habituÃe à voir à mon rÃveil…Mon front est si lourd, que je ne puis y rassembler deux idÃes…
SAINT-MEGRIN
Oh! Catherine, qu’une seule s’y prÃsente, qu’une seule y reste!…celle de mon amour pour toi…
LA DUCHESSE DE GUISE
Oui,…oui,…vous m’aimez…Oh! depuis longtemps, je m’en suis aperáue… Et moi aussi, je vous aimais, et je vous le cachais… Pourquoi donc?…Il me semble pourtant qu’il y a bien du bonheur à le dire!…
SAINT-MEGRIN
Oh! redis-le donc encore!…redis-le, car il y a bien du bonheur à l’entendre!…
LA DUCHESSE DE GUISE
Mais j’avais un motif pour vous le cacher…Quel Ãtait-il donc?… Ah!… ce n’Ãtait pas vous que je devais aimer…(Se levant, et oubliant son mouchoir sur le sofa) Sainte Märe de Dieu! aurais-je dit que je vous aimais?…Malheureuse que je suis!…mon amour s’est rÃveillÃe avant ma raison.
SAINT-MEGRIN
Catherine! n’Ãcoute que ton coeur. Tu m’aimes! tu m’aimes!
LA DUCHESSE DE GUISE
Moi? Je n’ai pas dit cela, monsieur le comte; cela n’est pas; ne croyez pas que cela soit…C’Ãtait un songe,…le sommeil,… le… Mais comment se fait-il que je sois ici?…Quelle est cette chambre? …Marie!…Madame de CossÃ!… Laissez-moi, monsieur de Saint-MÃgrin, Ãloignez-vous…
SAINT-MEGRIN
M’Ãloigner! et pourquoi?…
LA DUCHESSE DE GUISE
O mon Dieu! mon Dieu! que m’arrive-t-il?…
SAINT-MEGRIN
Madame, je me vois ici, je vous y trouve, je ne sais comment…Il y a de l’enchantement, de la magie.
LA DUCHESSE DE GUISE
Je suis perdue!…moi qui jusqu’à prÃsent vous ai fui, moi que dÃjà les soupáons de M. de Guise, mon seigneur et maÃ¥tre…
SAINT-MEGRIN
M. de Guise!…mille damnations!…M. de Guise, votre seigneur et maÃ¥tre!…Oh! puisse-t-il ne pas vous soupáonner à tort…et que tout son sang…tout le mien…
LA DUCHESSE DE GUISE
Monsieur le comte, vous m’effrayez.
SAINT-MEGRIN
Pardon!…mais quand je pense que je pouvais vous connaÃ¥tre libre, à tre aimà de vous, devenir aussi votre seigneur et maÃ¥tre…Il me fait bien mal, M. de Guise; mais que mon bon ange me manque au jour du jugement si je ne le lui rends pas…
LA DUCHESSE DE GUISE
Monsieur le comte!…Mais enfin…oó suis-je? dites-le moi… Aidez-moi à sortir d’ici, à me rendre à l’hìtel de Guise, et je vous pardonne…
SAINT-MEGRIN
Me pardonner! et quel est donc mon crime?
LA DUCHESSE DE GUISE
Je suis ici…et vous me le demandez…Vous avez profità de son sommeil pour enlever une femme qui vous est Ãtrangäre, qui ne peut vous aimer, qui ne vous aime pas, monsieur le comte…
SAINT-MEGRIN
Qui ne m’aime pas!…Ah! madame, on n’aime pas comme j’aime, pour ne pas à tre aimÃ. J’en crois vos premiäres paroles, j’en crois…
LA DUCHESSE DE GUISE
Silence!
SAINT-MEGRIN
Ne craignez rien.
JOYEUSE, dans l’antichambre
Vive Dieu!…nous sommes en sentinelle, et on ne passe pas…
LE DUC DE GUISE, derriäre le thÃÃtre
TÃ te-Dieu! messieurs, prenez garde, en croyant jouer avec un renard, d’Ãveiller un lion…
LA DUCHESSE DE GUISE
Sainte Marie!…c’est la voix du duc de Guise!…oó fuir? oó me cacher?
SAINT-MEGRIN, s’Ãlanáant vers la porte
C’est le duc de Guise?…Eh bien…
LA DUCHESSE DE GUISE
Arrà tez, monsieur, au nom du ciel! vous me perdez.
SAINT-MEGRIN
C’est vrai…
(Il court à la porte, passe entre les deux anneaux de fer la barre qui sert de verrou)
RUGGIERI, entrant et prenant la duchesse par la main
Silence, madame…Suivez-moi…
(Il ouvre la porte secräte; la duchesse de Guise s’y Ãlance, Ruggieri la suit; la porte se referme derriäre eux)
LE DUC DE GUISE, avec impatience
Messieurs!…
D’EPERNON
Ne trouves-tu pas qu’il a un petit accent lorrain tout à fait agrÃable?…
SAINT-MEGRIN, se retournant
Maintenant, madame,…nous pouvons…Eh bien, oó est-elle?…Tout cela ne serait-il pas l’oeuvre du dÃmon? Que croire? Oh! ma tà te! ma tà te!…Maintenant, qu’il entre. (Il ouvre la porte)
LE DUC DE GUISE, entrant
J’aurais dñ deviner, par ceux de l’antichambre, celui qui me ferait les honneurs de l’appartement…
SAINT-MEGRIN
Ne vous en prenez qu’à la circonstance, monsieur le duc, si je ne profite pas de ce moment pour vous rendre tous ceux dont je vous crois digne…Cela viendra, je l’espäre…
JOYEUSE
Comment, Saint-MÃgrin, c’est le Balafrà lui-mà me?
SAINT-MEGRIN
Oui, oui, messieurs, c’est lui…Mais il se fait tard; partons! partons! (Ils sortent)
SCENE VII
LES MEMES, CRUCE; puis BUSSY-LECLERC, LA CHAPELLE-MARTEAU et BRIGARD
LE DUC DE GUISE
C’est vous, CrucÃ? quelles nouvelles?
CRUCE
Mauvaises, monseigneur, mauvaises! rien ne marche,…tout dÃgÃnäre. Morbleu! nous sommes des conspirateurs à l’eau rose.
LE DUC DE GUISE
Comment cela?
CRUCE
Eh! oui…Nous perdons le temps en fadaises politiques; nous courons de porte en porte pour faire signer l’Union. Par saint Thomas! vous n’avez qu’Ã vous montrer, monsieur le duc; quand ils vous regardent, les huguenots sont de la Ligue…
LE DUC DE GUISE
Est-ce que votre liste?…
CRUCE
Trois ou quatre cents zÃlÃs l’ont signÃe; cent cinquante politiques y ont mis leur parafe; une trentaine de huguenots ont refusà en faisant la grimace…Quant à ceux-lÃ, morbleu! j’ai fait une croix blanche sur leur porte, et, si jamais l’occasion se prÃsente de dÃcrocher ma pauvre arquebuse qui est au repos depuis six ans…Mais je n’aurai pas ce bonheur-lÃ, monseigneur; les bonnes traditions se perdent…Tà te-Dieu! si j’Ãtais à votre place…
LE DUC DE GUISE
Et la liste?…
CRUCE
La voici…Faites-en des bourres, monsieur le duc, et plus tìt que plus tard.
LE DUC DE GUISE
Cela viendra, mon brave, cela viendra.
CRUCE
Dieu le veuille!…Ah! ah! voilà les camarades.
(Entrent Bussy-Leclerc, La Chapelle-Marteau et Brigard)
LE DUC DE GUISE
Eh bien, messieurs, la rÃcolte a-t-elle Ãtà bonne?
BUSSY-LECLERC
Pas mauvaise; deux ou trois cents signatures, pour ma part; des avocats, des procureurs.
CRUCE
Et toi, mon petit Brigard, as-tu fait marcher les boutiquiers?
BRIGARD
Ils ont tous signÃ.
CRUCE, lui frappant sur l’Ãpaule
Vive Dieu! monsieur le duc, voilà un zÃlÃ. Tous ceux de l’Union peuvent se prÃsenter à sa boutique, au coin de la rue Aubry-le-Boucher; ils y auront un rabais de trente deniers par livre sur tout ce qu’ils achäteront.
LE DUC DE GUISE
Et vous, monsieur Marteau?
LA CHAPELLE-MARTEAU
J’ai Ãtà moins heureux, monseigneur…Les maÃ¥tres des comptes ont peur, et M. le prÃsident de Thou n’a signà qu’avec restriction.
LE DUC DE GUISE
Il a donc ses fleurs de lis bien avant dans le coeur, votre prÃsident de Thou?…Est-ce qu’il n’a pas vu que l’on promet obÃissance au roi et à sa famille?
LA CHAPELLE-MARTEAU
Oui; mais on se rÃunit sans sa permission.
LE DUC DE GUISE
Il a raison, M. de Thou…Je me rendrai demain au lever de Sa MajestÃ, messieurs…Mon premier soin aurait dñ à tre d’obtenir la sanction du roi, il n’aurait pas osà me la refuser…Mais, Dieu merci! il n’est point encore trop tard. Demain, je mettrai sous les yeux de Henri de Valois la situation de son royaume; je me ferai l’interprà te de ses sujets mÃcontents. Il a dÃjà reconnu tacitement la Ligue; je veux qu’il lui nomme publiquement un chef.
LA CHAPELLE-MARTEAU
Prenez garde, monseigneur! il n’y a pas loin du bassinet à la mäche d’un pistolet, et quelque nouveau Poltrot…
LE DUC DE GUISE
Il n’oserait!…D’ailleurs, j’irai armÃ.
CRUCE
Que Dieu soit pour vous et la bonne cause!…Cela fait, monseigneur, je crois qu’il sera temps de vous dÃcider.
LE DUC DE GUISE
Oh! ma dÃcision est prise depuis longtemps; ce que je ne dÃcide pas en une heure, je ne le dÃciderai de ma vie.
CRUCE
Oui,…et, avec votre prudence, toute votre vie ne suffira peut-à tre pas à exÃcuter ce que vous aurez dÃcidà en un quart d’heure…
LE DUC DE GUISE
Monsieur CrucÃ, dans un projet comme le nìtre, le temps est l’allià le plus sñr.
CRUCE
TÃ te-Dieu!…vous avez le temps d’attendre, vous; mais, moi, je suis pressÃ; et puisque tout le monde signe…
LE DUC DE GUISE
Oui…Et les douze mille hommes, tant Suisses que reÃ¥tres, que Sa Majestà vient de faire entrer dans sa bonne ville de Paris…ont-ils signÃ?…Chacun d’eux porte une arquebuse ornÃe d’une belle et bonne mäche, monsieur CrucÃ; sans compter les fauconneaux de la Bastille…Fiez-vous-en à moi pour marquer le jour; et, quand il sera venu…
BUSSY-LECLERC
Eh bien, que ferons-nous au Valois?
LE DUC DE GUISE
Ce que lui promettait hier madame de Montpensier, en me montrant une paire de ciseaux: une troisiäme couronne.
BUSSY-LECLERC
Ainsi soit-il!…n’est-ce pas, mon vieux sorcier? car je prÃsume que tu es de notre avis, puisque tu ne dis rien…
RUGGIERI
J’attendais l’occasion favorable de vous prÃsenter une petite requà te.
BUSSY-LECLERC
Laquelle?
RUGGIERI, lui donnant le billet de d’Epernon
La voici…
BUSSY-LECLERC
Comment! un bon du d’Epernon…sur moi? C’est une plaisanterie.
RUGGIERI
Il a dit que, si vous n’y faisiez pas honneur, il irait vous trouver, et le ferait acquitter lui-mà me…
BUSSY-LECLERC
Qu’il vienne, morbleu!…a-t-il oublià qu’avant d’à tre procureur, j’ai Ãtà maÃ¥tre d’armes au rÃgiment de Lorraine?…Je crois que le cher favori est jaloux des statues qui ornent les tombeaux de QuÃlus et de Maugiron? Eh bien, qu’à cela ne tienne: nous le ferons tailler en marbre à son tour.
LE DUC DE GUISE
Gardez-vous-en bien, maÃ¥tre Bussy! Je ne voudrais pas, pour vingt-cinq de mes amis, ne pas avoir un tel ennemi…Son insolence recrute pour nous…Donne-moi ce billet, Ruggieri. Dix Ãcus noble rose, c’est cent vingt livres tournois…Les voici.
BUSSY-LECLERC
Que faites-vous donc, monseigneur?…
LE DUC DE GUISE
Soyez tranquille; quand le moment de rÃgler nos comptes sera arrivÃ, je m’arrangerai de maniäre qu’il ne reste pas mon dÃbiteur…Mais il se fait tard…A demain soir, messieurs. Les portes de l’hìtel de Guise seront ouvertes à tous nos amis; madame de Montpensier en fera les honneurs; et seront doublement bien reáus par elle ceux qui viendront avec la double croix! Ruggieri, reconduis ces messieurs. Ainsi, c’est dit; à demain soir, à l’hìtel de Guise.
CRUCE
Oui, monseigneur…(Ils sortent)
SCENE VIII
LE DUC DE GUISE, seul
Il s’assied sur le sofa oó la duchesse a oublià son mouchoir.
Par saint Henri de Lorraine! c’est un rude mÃtier que celui que j’ai entrepris…Ces gens-là croient qu’on arrive au trìne de France comme à un bÃnÃfice de province. Le duc de Guise roi de France! c’est un beau rà ve…Cela sera pourtant; mais, auparavant, que de rivaux à combattre! Le duc d’Anjou, d’abord;…c’est le moins à craindre; il est haã Ãgalement du peuple et de la noblesse, et on le dÃclarerait facilement hÃrÃtique et inhabile à succÃder…Mais, à son dÃfaut l’Espagnol n’est-il pas là pour rÃclamer, à titre de beau-fräre, l’hÃritage du Valois?…Le duc de Savoie, son oncle par alliance, voudra Ãlever des prÃtentions. Un duc de Lorraine a Ãpousà sa soeur…Peut-à tre y aurait-il un moyen: ce serait de faire passer la couronne de France sur la tà te du vieux cardinal de Bourbon, et de le forcer à me reconnaÃ¥tre comme hÃritier…J’y songerai…Que de peines! de tourments!…pour qu’à la fin peut-à tre la balle d’un pistolet ou la lame d’un poignard…Ah! (Il laisse ! tomber sa main avec dÃcouragement; elle se pose sur le mouchoir oublià par la duchesse.) Qu’est cela?…Mille damnations! ce mouchoir appartient à la duchesse de Guise! voilà les armes rÃunies de Cläves et de Lorraine…Elle serait venue ici!…Saint-MÃgrin!…O Mayenne! Mayenne! tu ne t’Ãtais donc pas trompÃ! et lui…lui…(Appelant) Saint-Paul! (Son Ãcuyer entre) Je vais…Saint-Paul! qu’on me cherche les mà mes hommes qu’ont assassinà Dugast.
ACTE DEUXIEME
Une salle du Louvre.–A gauche, deux fauteuils et quelques tabourets prÃparÃs pour le roi, la reine märe et les courtisans. Joyeuse est couchà dans l’un de ces fauteuils, et Saint-MÃgrin, debout, appuyà sur le dossier de l’autre. Du cìtà opposÃ, d’Epernon est assis à une table sur laquelle est posà un Ãchiquier. Au fond, Saint-Luc fait des armes avec du Halde. Chacun d’eux a präs de lui un page à ses couleurs.
SCENE PREMIERE
JOYEUSE, SAINT-MEGRIN, D’EPERNON, SAINT-LUC, DU HALDE, Pages
D’EPERNON
Messieurs, qui de vous fait ma partie d’Ãchecs, en attendant le retour du roi? Saint-MÃgrin, ta revanche?
SAINT-MEGRIN
Non, je suis distrait aujourd’hui.
JOYEUSE
Oh! dÃcidÃment, c’est la prÃdiction de l’astrologue…Vrai Dieu! c’est un vÃritable sorcier. Sais-tu bien qu’il avait prÃdit à Dugast qu’il n’avait plus que quelques jours à vivre, quand la reine Marguerite l’a fait assassiner? Je parie que c’est un horoscope du mà me genre qui occupe Saint-MÃgrin, et que quelque grande dame dont il est amoureux…
SAINT-MEGRIN, l’interrompant vivement
Mais toi-mà me, Joyeuse, que ne fais-tu la partie de d’Epernon?
JOYEUSE
Non, merci.
D’EPERNON
Est-ce que tu veux rÃflÃchir aussi, toi?
JOYEUSE
C’est, au contraire, pour ne pas à tre obligà de rÃflÃchir.
SAINT-LUC
Eh bien, veux-tu faire des armes avec moi, vicomte?
JOYEUSE
C’est trop fatigant, et puis tu n’es pas de ma force. Fais une oeuvre charitable, tire d’Epernon d’embarras…
SAINT-LUC
Soit.
JOYEUSE, tirant un bilboquet de son escarcelle
Vive Dieu! messieurs, voilà un jeu…Celui-là ne fatigue ni le corps ni l’esprit…Sais-tu bien que cette nouvelle invention a eu un succäs prodigieux chez la prÃsidente? A propos, tu n’y Ãtais pas, Saint-Luc; qu’es-tu donc devenu?
SAINT-LUC
J’ai Ãtà voir les Gelosi; tu sais, ces comÃdiens italiens qui ont obtenu la permission de reprÃsenter des mystäres à l’hìtel de Bourbon.
JOYEUSE
Ah! oui,…moyennant quatre sous par personne.
SAINT-LUC
Et puis, en passant…Un instant, d’Epernon, je n’ai pas jouÃ.
JOYEUSE
Et puis, en passant?…
SAINT-LUC
Oó?
JOYEUSE
En passant, disais-tu?
SAINT-LUC
Oui…Je me suis arrà tà en face de Nesle, pour y voir poser la premiäre pierre d’un pont qu’on appellera le pont Neuf.
D’EPERNON
C’est Ducerceau qui l’a entrepris…On dit que le roi va lui accorder des lettres de noblesse.
JOYEUSE
Et justice sera faite…Sais-tu bien qu’il m’Ãpargnera au moins six cents pas, toutes les fois que je voudrais aller à l’Ecole Saint-Germain? (Il laisse tomber son bilboquet, et appelle son page, qui est à l’autre bout de la salle) Bertrand, mon bilboquet…
SAINT-LUC
Messieurs, grande rÃforme! Ce matin, madame de Sauve m’a dit en confidence que le roi avait abandonnà les fraises gaudronnÃes pour prendre les collets renversÃs à l’italienne.
D’EPERNON
Eh! que ne nous disais-tu pas cela!…Nous serons en retard d’un jour…Tiens, Saint-MÃgrin le savait, lui…(A son page) Que je trouve demain un collet renversà au lieu de cette fraise…
SAINT-LUC, riant
Ah! ah!…tu te souviens que le roi t’a exilà quinze jours, parce qu’il manquait un bouton à ton pourpoint…
JOYEUSE
Eh bien, moi, je vais te rendre nouvelle pour nouvelle. Antraguet rentre aujourd’hui en grÃce.
SAINT-LUC
Vrai?…
JOYEUSE
Oui, il est dÃcidÃment guisard…C’est le Balafrà qui a exigà du roi qu’il lui rendÃ¥t son commandement…Depuis quelque temps, le roi fait tout ce qu’il veut.
D’EPERNON
C’est qu’il a besoin de lui…Il paraÃ¥t que le BÃarnais est en campagne, le harnais sur le dos…
JOYEUSE
Vous verrez que ce damnà d’hÃrÃtique nous fera battre pendant l’ÃtÃ…Mettez-vous donc en campagne de cette chaleur-lÃ,…avec cent cinquante livres de fer sur le corps!…pour revenir hÃlà comme un Andalou…
SAINT-LUC
Ce serait un mauvais tour à te faire, Joyeuse…
JOYEUSE
Je l’avoue; j’ai plus peur d’un coup de soleil que d’un coup d’ÃpÃe…et, si je le pouvais, je me battrais toujours, comme Bussy d’Amboise l’a fait dans son dernier duel, au clair de la lune…
SAINT-LUC
Quelqu’un a-t-il de ses nouvelles?
D’EPERNON
Il est toujours dans l’Anjou, präs de Monsieur…C’est encore un ennemi de moins pour le guisard.
JOYEUSE
A propos de guisard, Saint-MÃgrin, sais-tu ce qu’en dit la marÃchale de Retz? Elle dit qu’aupräs du duc de Guise, tous les princes paraissent peuple.
SAINT-MEGRIN
Guise!…toujours Guise!…Vive Dieu!…que l’occasion se prÃsente (tirant son poignard et coupant son gant en morceaux), et, de par saint Paul de Bordeaux! je veux hacher tous ces petits princes lorrains comme ce gant.
JOYEUSE
Bravo, Saint-MÃgrin!…Vrai-Dieu! je le hais autant que toi.
SAINT-MEGRIN
Autant que moi! MalÃdiction! si cela est possible; je donnerais mon titre de comte pour sentir, cinq minutes seulement, son ÃpÃe contre la mienne…Cela viendra peut-Ã tre…
DU HALDE
Messieurs, messieurs, voilà Bussy…
SAINT-MEGRIN
Comment! Bussy d’Amboise?…
SCENE II
LES MEMES, BUSSY D’AMBOISE
BUSSY D’AMBOISE
Eh! oui, messieurs, lui-mà me, en personne…Aux amis, salut…Bonjour, Saint-MÃgrin…
SAINT-MEGRIN
Et nous qui te croyions à cent lieues d’ici.
BUSSY D’AMBOISE
J’y Ãtais, il y a trois jours…Aujourd’hui, me voilÃ.
JOYEUSE
Ah! ah!…vous à tes donc raccommodÃs?…Il voulait te tuer avec QuÃlus…Il n’y a pas de sa faute, si le coup n’a pas rÃussi…
BUSSY D’AMBOISE
Oui, pour la dame de Sauve…Mais, depuis, nous avons mesurà nos ÃpÃes, et elles se sont trouvÃes de la mà me longueur…
SAINT-LUC
A propos de la dame de Sauve, on dit que, pour qu’elle soit plus sñre de ta fidÃlitÃ, tu lui Ãcris avec ton sang, comme Henri III Ãcrivait de Pologne à la belle RenÃe de Chateauneuf…Sans doute elle Ãtait prÃvenue de ton arrivÃe, elle…
BUSSY D’AMBOISE
Non. Nous voyageons incognito…Mais je n’ai pas voulu passer si präs de vous, sans venir vous demander s’il n’y avait pas quelqu’un de vous qui eñt besoin d’un second…
SAINT-MEGRIN
Cela se pourra faire, si tu ne nous quittes pas trop tìt.
BUSSY D’AMBOISE
Tà te-Dieu!…le cas ÃchÃant, je suis homme à retarder mon dÃpart;…ainsi ne te gà ne pas. Il y a si longtemps que cela ne m’est arrivÃ…c’est tout au plus si, en province, on trouve à se battre une fois par semaine…Heureusement que j’avais lÃ, sous la main, mon ami Saint-Phal; nous nous sommes battus trois fois, parce qu’il soutenait avoir vu des X sur les boutons d’un habit, oó je crois qu’il y avait des Y…
SAINT-MEGRIN
Bah! pas possible…
BUSSY D’AMBOISE
Parole d’honneur! Crillon Ãtait mon second…
JOYEUSE
Et qui avait raison?
BUSSY D’AMBOISE
Nous n’en savons rien encore: la quatriäme rencontre en dÃcidera…Mais que vois-je donc lÃ-bas? Les pages d’Antraguet!…Je croyais que, depuis la mort de QuÃlus…
SAINT-LUC
Le duc de Guise a sollicità sa grÃce.
BUSSY D’AMBOISE
Ah! oui, sollicitÃ,…j’entends…Il est donc toujours insolent, notre beau cousin de Guise?…
SAINT-MEGRIN
Pas encore assez…
D’EPERNON
Vrai-Dieu! tu es difficile…Je suis sñr qu’au fond du coeur, le roi n’est pas de ton avis.
SAINT-MEGRIN
Qu’il dise donc un mot…
D’EPERNON
Ah! vois-tu, c’est qu’il est trop occupà dans ce moment, il apprend le latin.
SAINT-MEGRIN
Tà te-Dieu! qu’a-t-il besoin de latin pour parler à des Franáais? Qu’il dise seulement: ÃA moi, ma brave noblesse!à et un millier d’ÃpÃes qui coupent bien, sortiront des fourreaux oó elles se rouillent. N’a-t-il plus dans la poitrine le mà me coeur qui battait à Jarnac et à Moncontour, ou ses gants parfumÃs ont-ils amolli ses mains, au point qu’elles ne puissent plus serrer la garde d’une ÃpÃe?
D’EPERNON
Silence, Saint-MÃgrin!…le voilÃ…
UN PAGE, entrant
Le roi!…
BUSSY D’AMBOISE
Je vais me tenir un peu à l’Ãcart…Je ne me montrerai que s’il est de bonne humeur…
UN SECOND PAGE
Le roi! (Tout le monde se läve et se groupe)
UN TROISIEME PAGE
Le roi!
SCENE III
LES MEMES, HENRI, puis CATHERINE
HENRI
Salut, messieurs, salut…Villequier, qu’on prÃvienne madame ma märe de mon retour, et qu’on s’informe si l’on a apportà mon nouvel habit d’amazone…Ah! dites à la reine que je passerai chez elle, afin de fixer le jour de notre dÃpart pour Chartres; car vous savez, Messieurs, que la reine et moi faisons un pälerinage à Notre-Dame de Chartres, afin d’obtenir du ciel ce qu’il nous a refusà jusqu’à prÃsent, un hÃritier de notre couronne. Ceux qui voudront nous suivre seront les bienvenus.
SAINT-MEGRIN
Sire, si, au lieu d’un pälerinage à Notre-Dame de Chartres, vous ordonniez une campagne dans l’Anjou…si vos gentilshommes Ãtaient revà tus de cuirasses au lieu de cilices, et portaient des ÃpÃes en guise de cierges, Votre Majestà ne manquerait pas de pÃnitents, et vous me verriez au premier rang, sire, dussÃ-je faire la moitià de la route pieds nus sur des charbons ardents.
HENRI
Chaque chose aura son tour, mon enfant. Nous ne resterons pas en arriäre däs qu’il le faudra; mais, en ce moment, grÃce à Dieu, notre beau royaume de France est en paix, et le temps ne nous manque pas pour nous occuper de nos dÃvotions. Mais que vois-je! vous à ma cour, seigneur de Bussy? (A Catherine de MÃdicis qui entre) Venez, ma märe, venez: vous allez avoir des nouvelles de votre fils bien-aimÃ, qui, s’il eñt Ãtà fräre soumis et sujet respectueux, n’aurait jamais dñ quitter notre cour…
CATHERINE
Il y revient, peut-Ã tre, mon fils…
HENRI, s’asseyant
C’est ce que nous allons savoir…Asseyez-vous, ma märe…Approchez, seigneur de Bussy…Oó avez-vous quittà notre fräre?
BUSSY D’AMBOISE
A Paris, sire.
HENRI
A Paris!…Serait-il dans notre bonne ville de Paris?
BUSSY D’AMBOISE
Non; mais il y est passà cette nuit.
HENRI
Et il se rend?…
BUSSY D’AMBOISE
Dans la Flandre…
HENRI
Vous l’entendez, ma märe. Nous allons sans doute avoir dans notre famille un duc de Brabant. Et pourquoi a-t-il passà si präs de nous, sans venir nous prÃsenter son hommage de fidÃlitÃ, comme à son aÃ¥nà et à son roi?…
BUSSY D’AMBOISE
Sire,…il connaÃ¥t la grande amitià que lui porte Votre MajestÃ, et il a craint qu’une fois rentrà au Louvre, vous ne l’en laissiez plus sortir.
HENRI
Et il a raison, monsieur; mais, en ce moment, l’absence de son bon serviteur et de sa fidäle ÃpÃe doit lui faire faute; car peut-à tre bientìt compte-t-il se servir contre nous de l’un et de l’autre. Arrangez-vous donc, seigneur de Bussy, pour le rejoindre au plus vite, et pour nous quitter au plus tìt. (Un Page entre) Eh bien, qu’y a-t-il?
CATHERINE
Mon fils, c’est sans doute Antraguet qui profite de la permission que vous lui avez volontairement accordÃe de reparaÃ¥tre en votre royale prÃsence…
HENRI
Oui, oui, volontairement!…Le meurtrier!…Ma märe, mon cousin de Guise m’impose un grand sacrifice; mais pour mes pÃchÃs, Dieu veut qu’il soit complet. (Au Page) Parlez.
LE PAGE
Charles Balzac d’Entragues, baron de Dunes, comte de Graville, ex-lieutenant gÃnÃral au gouvernement d’OrlÃans, demande à dÃposer aux pieds de Votre Majestà l’hommage de sa fidÃlità et de son respect.
HENRI
Oui, oui;…tout à l’heure nous recevrons notre sujet fidäle et respectueux; mais, auparavant, je veux me sÃparer de tous ce qui pourrait me rappeler cet affreux duel…Tiens, Joyeuse, tiens!…(Il tire de sa poitrine une espäce de sachet) Voilà les pendants d’oreilles de QuÃlus; porte-les en mÃmoire de notre ami commun…D’Epernon, voici la chaÃ¥ne d’or de Maugiron…Saint-MÃgrin, je te donnerai l’ÃpÃe de Schomberg; elle Ãtait bien pesante pour un bras de dix-huit ans!…qu’elle te dÃfende mieux que lui, en pareille circonstance. Et maintenant, messieurs, faites comme moi, ne les oubliez pas dans vos priäres.
Que Dieu reáoive en son giron
QuÃlus, Schomberg et Maugiron.
Restez autour de moi, mes amis, et asseyez-vous…Faites entrer…(A la vue d’Antraguet, il prend dans sa bourse un flacon qu’il respire) Approchez ici, baron, et flÃchissez le genou…Charles Balzac d’Entragues, nous vous avons accordà la faveur de notre prÃsence royale, au milieu de notre cour, pour vous rendre, là oó nous vous les avions ìtÃs, vos dignitÃs et vos titres…Relevez-vous, baron de Dunes, comte de Graville, gouverneur gÃnÃral de notre province d’OrlÃans, et reprenez präs de notre personne royale les fonctions que vous y remplissiez autrefois…Relevez-vous.
D’ENTRAGUES
Non, sire,…je ne me reläverai pas, que Votre Majestà n’ait reconnu publiquement que ma conduite, dans ce funeste duel, a Ãtà celle d’un loyal et honorable cavalier.
HENRI
Oui,…nous le reconnaissons, car c’est la vÃritÃ…Mais vous avez portà des coups bien malheureux!…
D’ENTRAGUES
Et maintenant, sire, votre main à baiser, comme gage de pardon et d’oubli.
HENRI
Non, non, monsieur, ne l’espÃrez pas.
CATHERINE
Mon fils, que faites-vous?
HENRI
Non, madame, non…J’ai pu lui pardonner, comme chrÃtien, le mal qu’il m’a fait; mais je ne l’oublierai de ma vie.
D’ENTRAGUES
Sire,…j’appelle le temps à mon secours; peut-à tre ma fidÃlità et ma soumission finiront-elles par flÃchir le courroux de Votre MajestÃ.
HENRI
C’est possible. Mais votre gouvernement doit avoit besoin de votre prÃsence; il en est privà depuis longtemps, baron de Dunes, et le bien de nos fidäles sujets pourraient en souffrir…Qui fait ce bruit?
D’EPERNON
Ce sont ceux de Guise…
HENRI
Notre beau cousin de Lorraine ne profite pas du priviläge qu’ont les princes souverains de paraÃ¥tre devant nous sans à tre annoncÃs…Ses pages ont toujours soin de faire assez de bruit pour que son arrivÃe ne soit pas un mystäre…
SAINT-MEGRIN
Il traite, avec Votre MajestÃ, de puissance à puissance…Il a ses sujets comme vous avez les vìtres, et sans doute qu’il vient, armà de pied en cap, prÃsenter en leur nom une humble requà te à Votre MajestÃ.
SCENE IV
LES MEMES, LE DUC DE GUISE
Il est couvert d’une armure compläte, prÃcÃdà de deux Pages, et suivi par quatre, dont l’un porte son casque.
HENRI
Venez, monsieur le duc, venez…Quelqu’un qui s’est retournà au bruit que faisaient vos pages, et qui vous a aperáu de loin, offrait de parier que vous veniez encore nous supplier de rÃformer quelque abus, de supprimer quelque impìt…Mon peuple est un peuple bien heureux, mon beau cousin, d’avoir en vous un reprÃsentant si infatigable, et en moi un roi si patient!
LE DUC DE GUISE
Il est vrai que Votre Majestà m’a accordà bien des grÃces,…et je suis fier d’avoir si souvent servi d’intermÃdiaire entre elle et ses sujets.
SAINT-MEGRIN, Ã part
Oui, comme le faucon entre le chasseur et le gibier…
LE DUC DE GUISE
Mais, aujourd’hui, sire, un motif plus puissant m’amäne encore devant Votre MajestÃ, puisque c’est à la fois des intÃrà ts de son peuple et des siens que j’ai à l’entretenir…
HENRI
Si l’affaire est si sÃrieuse, monsieur le duc, ne pourriez-vous pas attendre nos prochains Ãtats de Blois?…Les trois ordres de la nation ont là des reprÃsentants qui, du moins, ont reáu de nous mission de me parler au nom de leurs mandataires.
LE DUC DE GUISE
Votre Majestà voudra-t-elle bien songer que les Ãtats de Blois viennent de se dissoudre, et ne se rassembleront qu’au mois de novembre?…Lorsque le danger est pressant, il me semble qu’un conseil privÃ…
HENRI
Lorsque le danger est pressant!…Mais vous nous effrayez, monsieur de Guise…Eh bien, toutes les personnes qui composent notre conseil privà sont ici…Parlez, monsieur le duc, parlez.
CATHERINE
Mon fils, permettez que je me retire.
HENRI
Non, madame, non; M. le duc sait bien que nous n’avons rien de cachà pour notre auguste märe, et que, dans plus d’une affaire importante, ses conseils nous ont mà me Ãtà d’un utile secours.
LE DUC DE GUISE
Sire, la dÃmarche que je fais präs de vous est hardie, peut-à tre trop hardie…Mais hÃsiter plus longtemps ne serait pas d’un bon et loyal sujet.
HENRI
Au fait, monsieur le duc, au fait…
LE DUC DE GUISE
Sire, des dÃpenses immenses, mais nÃcessaires, puisque Votre Majestà les a faites, ont Ãpuisà le trÃsor de l’Etat…Jusqu’à prÃsent, Votre MajestÃ, avec l’aide de ses fidäles sujets, a trouvà moyen de le remplir…Mais cela ne peut durer…L’approbation du saint-päre a permis d’aliÃner pour deux cent mille livres de rente sur les biens du clergÃ. Un emprunt a Ãtà fait aux membres du Parlement sous prÃtexte de faire sortir les gens de guerre Ãtrangers…Les diamants de la couronne sont en gage pour la sñretà des trois millions dñs au duc Casimir…Les deniers destinÃs aux rentes de l’hìtel de ville ont Ãtà dÃtournÃs pour un autre usage, et les Ãtats gÃnÃraux ont eu l’audace de rÃpondre par un refus, lorsque Votre Majestà a proposà d’aliÃner les domaines.
HENRI
Oui, oui, monsieur le duc, je sais que nos finances sont en assez mauvais Ãtat…Nous prendrons un autre surintendant.
LE DUC DE GUISE
Cette mesure pourrait à tre suffisante en temps de paix, sire…mais Votre Majestà va se voir contrainte à la guerre. Les huguenots, que votre indulgence encourage, font des progräs effrayants. Favas s’est emparà de la RÃole; Montferrand, de PÃrigueux; Condà de Dijon. Le Navarrois a Ãtà vu sous les murs d’OrlÃans; la Saintonge, l’AgÃnois et la Gascogne sont en armes, et les Espagnols, profitant de nos troubles, ont pillà Anvers, brñlà huit cents maisons, et passà sept mille habitants au fil de l’ÃpÃe.
HENRI
Par la mort-Dieu! si ce que vous me dites là est vrai, il faut chÃtier les huguenots au dedans et les Espagnols au dehors. Nous ne craignons pas la guerre, mon beau cousin; et, s’il le fallait, nous irions nous-mà me sur le tombeau de notre aãeul Louis IX saisir l’oriflamme, et nous marcherions à la tà te de notre brave armÃe, au cri de guerre de Jarnac et de Moncontour.
SAINT-MEGRIN
Et, si l’argent vous manque, sire, votre brave noblesse est là pour rendre à Votre Majestà ce qu’elle a reáu d’elle. Nos maisons, nos terres, nos bijoux peuvent se monnayer, monsieur le duc; et, vive-Dieu! en fondant les seules broderies de nos manteaux et les chiffres de nos dames, nous aurions de quoi envoyer à l’ennemi, pendant toute une campagne, des balles d’or et des boulets d’argent.
HENRI
Vous l’entendez, monsieur le duc?
LE DUC DE GUISE
Oui, sire. Mais, avant que cette idÃe vÃ¥nt à M. le comte de Saint-MÃgrin, trente mille de vos braves sujets l’avaient eue; ils s’Ãtaient engagÃs par Ãcrit à fournir de l’argent au trÃsor et des hommes à l’armÃe; ce fut le but de la sainte Ligue, sire, et elle le remplira, lorsque le moment en sera venu…Mais je ne puis cacher à Votre Majestà les craintes qu’Ãprouvent ses fidäles sujets, en ne la voyant pas reconnaÃ¥tre hautement cette grande association.
HENRI
Et que faudrait-il pour cela?
LE DUC DE GUISE
Lui nommer un chef, sire, d’une grande maison souveraine, digne de sa confiance et de son amour, par son courage et sa naissance, et qui surtout ait assez fait ses preuves comme bon catholique, pour rassurer les zÃlÃs sur la maniäre dont il agirait dans les circonstances difficiles…
HENRI
Par la mort-Dieu! monsieur le duc, je crois que votre zäle pour notre personne royale est tel, que vous seriez tout prà t à lui Ãpargner l’embarras de chercher bien loin ce chef…Nous y penserons à loisir, mon beau cousin, nous y penserons à loisir.
LE DUC DE GUISE
Mais Votre Majestà devrait peut-à tre à l’instant…
HENRI
Monsieur le duc, quand je voudrai entendre un prà che, je me ferai huguenot…Messieurs, c’est assez nous occuper des affaires de l’Etat, songeons un peu à nos plaisirs. J’espäre que vous avez reáu nos invitations pour ce soir, et que madame de Guise, madame de Montpensier, et vous, mon cousin, voudrez bien embellir notre bal masquÃ.
SAINT-MEGRIN, montrant la cuirasse du duc
Votre Majestà ne voit-elle pas que M. le duc est dÃjà en costume de chercheur d’aventures?